Les roux et les rousses semblent être l’objet de préjugés depuis l’aube des temps. Sorcellerie, odeur, laideur ou agressivité, la rousseur attise les esprits et laisse rarement indifférent. Mais savez-vous pourquoi ?
Une chose est sûre : depuis que je tiens ce blog, je ne compte plus le nombre de messages enflammés où d’illustres inconnus me confient avec un enthousiasme non voilé leur amour inconditionnel pour les femmes rousses. Cocasse dans un premier temps, lassant par la suite, je trouve désormais cette pratique exaspérante. Non pas que ces prétendants soient harcelants. Ces messieurs, une fois leur passion exprimée, ont visiblement une grande capacité à maîtriser leurs élans libidineux et compulsifs.
Non, ce qui me dérange le plus tient dans ce qu’une telle adulation sous-tend : la persistance revêche de préjugés pourtant ancestraux.
Être perçue comme une femme fatale, sulfureuse et séduisante par une partie de la gent masculine, pas si désagréable me direz-vous. Mais ai-je vraiment envie que l’on voit en moi la femme que je ne suis pas ? Ai-je envie que la globalité de mon être soit réduit à l’image que certains peuvent se faire de ma couleur de cheveux ? Et quand les clichés se veulent plus négatifs et discriminatoires, n’est-on pas en droit de s’interroger sur la raison de leur persistance ? Dois-je accepter avec une certaine fatalité que mon fils roux devienne lui aussi un jour la cible de moqueries ?
Cet article, je l’adresse à tous nos détracteurs chevronnés et éteints. Je l’adresse à tous ceux qui se moquent, sans culpabilité ni relâche, de la minorité que nous constituons. Je l’adresse à tous ceux qui véhiculent cette foule d’idées préconçues et obscures, délibérément ou inconsciemment .
À tous ces enfants roux qui sont stigmatisés dans les cours d’école, à tous ces adultes qui, pour certains, restent meurtris. A tous ceux qui ont souffert, subi, pleuré puis se sont tus dans un isolement résigné et l’incompréhension tolérée…
Soyons fiers et rions d’eux.
Stéréotypes et inconscient collectif
Les rousses, à la différence des blondes et des brunes, sont depuis la nuit des temps l’objet de clichés.
On pensera à Lilith et Marie-Madeleine dans la Bible, aux rousses martyrs sous l’Égypte ancienne, à celles dont on dit qu’elles furent condamnées pour sorcellerie pendant l’Inquisition. Puis il y aura au XIIIe siècle, l’ordonnance de Saint Louis faisant obligation aux prostituées de se teindre les cheveux en roux pour bien se distinguer des femmes « respectables ».
Saviez-vous qu’au XIXe siècle, on pouvait même lire dans certains traités médicaux, que les femmes rousses détenaient le « gêne de la prostitution » ? Zola et Maupassant, au début du XXe siècle n’associeront-ils pas encore la rousseur à une sexualité débridée avec les personnages de Nana et Yvette ? Les modernes que nous sommes verront ensuite éclore les personnages de Red en 1943 ou celui de Jessica Rabbit en 1988. Rita Hayworth, fantasme de toute une génération d’Américains, Audrey Fleurot, femme sensuelle, Christina Hendricks, la femme fatale, Connie Nielsen, matrice toute désignée de l’Antéchrist dans L’associé du diable…
La rousse satanique, tentatrice et ensorceleuse, une longue histoire donc… Une histoire qui perdure.
Moins glamour, mais bien ancrée aussi, l’idée que le roux symbolise la fourberie et la traîtrise (mais oui Judas ! Nous sommes tous tes descendants ! Mais quand nous prouveras-tu enfin que tu étais bien roux ?), la colère, l’agressivité (Heu, vous m’excuserez d’avoir perdu le sourire dans la cour de récré. Je n’ai jamais dit que j’étais la fille de Bouddha) et que nous sommes tous les amis des écureuils et des renards. J’oublie le roux moche qui sent mauvais quand il pleut et qui accessoirement rouille, perdant son âme par la même occasion. Satan rôde, vous ne l’entendez pas ?
L’ennui avec tous ces clichés, c’est qu’ils durent, perdurent et s’étirent inlassablement depuis la nuit des temps.
La faute à qui ? La faute à l’inconscient collectif, la « mémoire psychique de l’humanité depuis sa naissance » selon Carl Gustav Jung. Dès les années 1920, le psychiatre suisse le définit ainsi : « En plus de notre conscience immédiate, il existe un second système psychique de nature collective, universelle et impersonnelle qui est identique chez tous les individus. Cet inconscient collectif ne se développe pas individuellement, mais est hérité. Il se compose de formes préexistantes ». Les mythes et les productions imaginaires ainsi que les symboles qui en découlent forgent donc inconsciemment notre manière de penser. L’Humanité utilisera ces archétypes pour penser le monde, le comprendre et se le représenter.
Donc si je récapitule le syllogisme : le rouge est la couleur du feu, la couleur du diable. Or Judas est roux. Donc, les hommes roux sont des hypocrites et des traîtres. De la même façon, si les rousses sont ainsi faites, c’est parce qu’elles ont eu des relations sexuelles avec Satan.
Plus de 2 000 ans que ça dure… Hé, les gars, il serait temps de changer de disque, vous ne croyez pas ?
Les roux, des boucs émissaires de choix
Les roux, des souffre-douleurs ? En 1948, Bodhan Zawadzki explique que lorsqu’une hostilité est portée par un groupe, celui-ci « peut trouver dans les minorités une cible parfaite. En effet, un certain accord serait trouvé pour désigner un groupe minoritaire sans défense ». L’auteur met ceci en rapport « avec une peur primitive des humains face à ce qui leur semble étranger. » Peu nombreux et affichant une différence évidente et perceptible, nous constituons donc des cibles de premier choix pour ceux qui chercheraient des boucs émissaires.
Alors, quelles actions mettre en oeuvre pour faire cesser un tel phénomène ? D’après Tom Douglas, le groupe d’ « agresseurs » devrait « comprendre pourquoi il a choisi telle victime plutôt qu’une autre et être familiarisé avec le concept de stéréotype qui joue un rôle dans cette sélection. Il est très difficile pour le groupe de reconnaître qu’il est impliqué dans un processus de bouc-émissaire, car il est difficile de faire la distinction entre les causes rationnelles et irrationnelles qui mènent à la sélection d’un responsable des tensions vécues dans le groupe« .
Dans le cas des roux, il s’agirait donc de mettre en évidence le caractère ancestral et absurde des stéréotypes, auprès de ceux-là même qui les entretiennent. Oui, mais amener à une prise de conscience et une évolution des mentalités n’est pas chose si simple… surtout quand les médias s’en mêlent. Pouvoir influent et puissant, capable d’injecter des idées dans l’esprit des gens, ceux-ci contribuent à la création de la réalité « Les médias produisent aussi un effet symbolique fort quand ils reprennent et légitiment des représentations discriminantes » (Grégory Derville).
On se rappellera tous de la campagne publicitaire d’Adopte un mec en 2012 ou celle, plus récente, du site de rencontres Match qualifiant nos éphélides d’ornements imparfaits. Lors d’une interview au magazine Vice, la chercheuse Valérie André rapporte également l’exemple de la marque Grimbergen » qui avait lancé il y a quelques années une bière rousse, la « Roussa ». Sur les affiches publicitaires, on voyait une magnifique rousse aux cheveux bouclés et aux yeux verts. Le slogan disait : Une rousse de caractère est très vite chaude. »
Autant dire que les publicitaires aiment tester notre sens de l’humour… Mais comme le souligne Marion Felut dans une chronique pour le Figaro en 2012, « On n’est pas obligé d’être issu de l’immigration pour subir l’exclusion. Être obèse, petit, grand, maigre, être une femme… Il n’y a pas de discrimination légère, mais seulement des phénomènes grégaires qui partent d’idées stupides. »
Comment lutter contre les préjugés ?
Mettre fin aux préjugés : une peine perdue d’avance ? Devrions-nous accepter d’avancer, la crinière en berne et les éphélides cachées dans nos chaussettes ? Je crois au contraire qu’il ne faut pas baisser les bras.
Pour éliminer toutes ces idées reçues et ces réflexes irrationnels et idiots, il conviendrait au contraire d’utiliser les leviers de l’éducation et de l’information. Dire, expliquer et montrer pour amener chacun à explorer ses propres représentations et se questionner sur leur légitimité. Un travail de longue haleine, certes, mais nécessaire pour déconstruire les processus inconscients qui se jouent en chacun de nous. Un travail déjà en marche…
On pensera notamment aux ouvrages de Xavier Fauche ou Valérie André qui constituent de véritables mines d’informations sur la question rousse. En 2012, l’excellent blog « Je veux une rousse » mettait également en évidence le pouvoir de l’inconscient collectif dans la représentation picturale de la femme rousse. Et depuis quelques années, ce sont les expositions et ouvrages photographiques en notre honneur qui se multiplient : Joel Meyerowitz en 1991, Hanne Van Der Woude en 2008, Anthea Pokroy et Geneviève Boutry en 2013, Pascal Sacleux en 2016 (Vous noterez l’omission volontaire du travail de Brian Dowling qui semblerait avoir oublié que nous n’avons toutes été faites dans le même moule, mais ça, c’est une autre histoire !).
Le travail de ces artistes et intellectuels aura engendré à chaque fois une information sur les discriminations dont les roux sont victimes depuis la nuit des temps. Des piqûres de rappel, ponctuelles mais régulières, qui je l’espère, contribueront à la mise en perspective de tous ces clichés.
Je laisserai le mot de la fin à Pascal Sacleux, organisateur du festival Red Love : « Bon nombre de roux moqués et raillés ont choisi de se taire et de se mettre à l’écart pour se protéger. Il est essentiel qu’ils sachent que, s’ils se sentent isolés, ils ne sont pour autant pas seuls… ». On se fait la bise ?