Charlotte Mével, graphiste – illustratrice de 35 ans, nous présente « Éloge de la rousseur », une bande dessinée qui devrait intéresser plus d’un roux ! Si son projet n’est pas encore terminé, il a malgré tout déjà reçu le 3ème prix du concours jeune talent de la Fondation Raymond Leblanc. Rencontre avec cette rousse aux 1 001 projets !
Tu es rousse et particulièrement créative ! Peux-tu nous en dire un peu plus sur toi ?
Je vis et je travaille pile au centre de la Bretagne dans un tout petit village costarmoricain. Je suis graphiste – illustratrice à mon compte depuis 12 ans. Je déborde de projets : retaper une vieille maison entièrement, investir le conseil municipal, monter une association, créer un café culturel, participer un festival… et le dernier en date, faire une bande dessinée !
Comment est né ton projet de bande dessinée « Éloge de la rousseur » ?
Une envie de renouer avec le dessin me titillait depuis un certain temps, et j’avais une histoire à raconter… J’ai fait un premier essai d’une quinzaine de pages et je me suis rendu compte que j’avais beaucoup plus à dire sur le sujet. J’avais emmagasiné anecdotes, ressentis, histoires et mythes autour de la rousseur mais je n’avais jamais trop donné d’importance à cette particularité, jusqu’à… la naissance de mon fils.
Tout de suite, il y a eu beaucoup de questions, de blagues, d’allusions, d’étonnement, bref de réactions. Ses cheveux sont loin d’être roux flamboyant mais ils sont roux et ils font parler ! Ce qui pour moi était normal semblait d’un coup ne plus l’être et les préjugés et l’insistance des plaisanteries aussi bienveillantes soient elles auxquelles j’avais fait face enfant, me touchaient maintenant en tant que maman.
J’avais très envie de me lancer dans la bande dessinée et le sujet de la rousseur s’est donc imposé. L’idée est de transmettre ma vision de la couleur rousse, de raconter certaines anecdotes personnelles, évoquer la perception de la rousseur dans l’histoire, dans l’art et la littérature. Il y a aussi des aspects scientifiques qui rendent les roux encore plus « particuliers » dont je souhaite parler, comme le fait que nous (les roux) ayons le super-pouvoir de produire nous-même notre vitamine D ! L’objectif est de parler des préjugés (voire de discrimination) en général en utilisant le cas spécifique des personnes rousses, le tout si possible avec sensibilité, légèreté et humour !
Le synopsis est déjà rédigé, l’idée est vraiment de naviguer entre histoire personnelle et faits scientifiques ou historiques. Le titre est provisoire, car peut-être un peu trop réducteur. Je ne veux pas faire un livre qui s’adresse exclusivement aux roux… Et à travers le thème de la rousseur, c’est le rapport humain à l’altérité que je souhaite évoquer, avec mon point de vue de rousse. Donc c’est en réflexion…
Quelle part de toi y a-t-il dans cette bande dessinée ?
Il y a beaucoup de moi dans ce projet, ce sont mes anecdotes pour la plupart, ma perception des choses. On pourrait parler d’auto-fiction : la base est personnelle mais j’y ai ajouté des pages didactiques, des événements vécus par d’autres personnes rousses et je me laisse le droit d’inventer certains passages si cela porte mieux mon propos.
Ma rousseur est un aspect que j’avais oublié, puisque faisant partie intégrante de moi. C’est le fait de me projeter, et d’imaginer que mon enfant puisse être blessé à cause de cette particularité qui m’a presque fait redevenir rousse. (Et il adore mes cheveux !) Les réflexions entendues depuis sa naissance m’ont donné envie d’exprimer à tous ces gens que leurs propos sont souvent à la limite de la discrimination, mais aussi toutes les belles choses que j’ai à dire sur cette couleur.
Une des anecdotes qui sera dans le livre est la réaction d’une voisine quelques jours après la naissance de mon fils. Ne l’ayant pas encore vu elle voulait à tous prix savoir de quelle couleur étaient ses cheveux :
– Alors il est blond ? Brun ? Chatain ?
– Non, il est roux !
Et elle de rétorquer spontanément avant d’essayer de rattraper le coup :
– Bah, c’est pas grave, tant qu’il a la santé…
Elle l’a répété trois fois en s’emmêlant les pinceaux, essayant de rattraper sa maladresse.
Que penses-tu des préjugés sur les roux ?
Les préjugés envers les roux ont toujours eu cours, et ces idées reçues sont presque toujours négatives. Ces préjugés n’ont aucun fondement mais sont coriaces. Les roux sont suffisamment rares pour être montrés du doigt et suffisamment nombreux pour faire l’objet de généralités. On considère trop souvent que les plaisanteries, les idées reçues et les rumeurs envers les roux, sont « bon enfant » mais ces attitudes ne sont pas moins hostiles que la discrimination envers n’importe quelle personne qui présente une différence ou une particularité.
Être maman me permet d’appréhender ce que peut ressentir un enfant face à cette méchanceté injuste (presque plus que le fait d’être rousse). C’est ce que j’aimerais (entre autre) mettre en avant dans cette BD : la violence et l’injustice qui peuvent émaner de ces préjugés.
Que penses-tu de la surreprésentation des personnages roux dans la BD ?
Comme dans l’art et la littérature, les personnages aux cheveux roux sont très courants. C’est une couleur puissante, remarquable, qui peut symboliser et incarner des caractère forts. Les héros de bande dessinée sont souvent roux, c’est un signe de distinction, d’extraordinaire…
Comment envisages-tu la suite ?
J’aimerais renforcer le scénario, puis sur les conseils de l’équipe du concours, dessiner une dizaine de planches et démarcher les éditeurs. (dans l’idéal d’ici la fin du mois de février) C’est mon premier projet d’album et j’imagine que ça va me prendre plusieurs mois avant de le concrétiser. Si je ne parviens pas à le faire éditer, je me tournerai certainement vers l’auto-édition. C’est un projet que je tiens à mener jusqu’au bout, quelque soit la façon de le faire. C’est aussi mon premier pas vers la bande dessinée et si ça marche, j’ai plein d’autres idées !