Mortelle Adèle : l’héroïne rousse de Mr Tan

Rencontre avec Antoine Dole, alias Mr Tan, le créateur de Mortelle Adèle parue aux Editions Tourbillon. Découvrez une rousse qui décoiffe!

Il faut parfois piocher dans la bibliothèque de ses enfants pour avoir de vrais coups de cœur littéraires. Ce fut mon cas lorsque j’ai feuilleté Mortelle Adèle pour la première fois! Son héroïne rousse, atypique et grinçante se situe à mille lieues des personnages stéréotypés des BD jeunesse. Ses passe-temps favoris? Faire de la vie de ses parents un véritable enfer ou réaliser des expériences sur son chat Ajax, lorsqu’elle ne malmène pas son amoureux Geoffroy… A l’occasion de la sortie du tome 12 le 14 juin prochain, Antoine Dole a accepté de répondre à mes quelques questions.

Comment est née l’idée du personnage de Mortelle Adèle?

Si j’ai commencé par publier un premier roman en 2008, en fait Mortelle Adèle existe depuis bien plus longtemps. J’ai créé ce personnage à l’âge de 14 ans. Je la dessinais dans mes cahiers à l’école. C’était un alter-ego, que j’utilisais pour dire aux autres ce que je n’osais pas forcément dire au quotidien. Je la dessinais sur les cartes d’anniversaire et les cartes postales, mais je n’envisageais pas d’en faire un livre. C’était destiné à mon cercle familial. Et puis un jour le hasard des rencontres et des opportunités ont fait que j’ai commencé à me poser cette question, ça prenait du sens. Finalement, c’est mon neveu qui m’a décidé : il avait 4 ans et je voulais publier, pour lui, un personnage moderne qui montre aux petits garçons, à qui le marché propose (comme aux filles) surtout des BD très stéréotypées, qu’on peut avoir une fille comme héroïne, et aux jeunes lectrices qu’elles ont le droit de ne pas aimer les petits chats, le rose et les paillettes, mais de vouloir fabriquer un zombie et torturer leur meilleure copine.

Comment décririez-vous cette petite fille rousse?

Quand les enfants m’en parlent, les premiers adjectifs qu’ils utilisent c’est : méchante, cruelle, diabolique… Pour moi, elle est d’abord courageuse. C’est difficile quand on est enfant d’accepter de se construire contre la norme, d’être en dehors du troupeau. Adèle est une petite fille qui n’a pas peur d’être différente, singulière. C’est pour moi ce qui la rend attachante, malgré le calvaire qu’elle fait vivre à ses proches au quotidien. La désobéissance est une façon de s’imposer au monde sans chercher le compromis.

Pourquoi avoir créé un personnage si cynique et à l’humour si grinçant ?

Au point de départ il n’y avait pas d’intention, Adèle s’est construite en opposition à ma timidité de l’époque. Elle est venue au monde sur le papier pour pallier ma réserve et ma passivité face aux autres. La littérature et la bande-dessinée sont deux flux très différents, en tout cas dans ma façon de les pratiquer l’un et l’autre, et c’est d’ailleurs pour cette raison que je ne les publie pas sous le même nom. La littérature telle que je la conçois et que je souhaite l’écrire ne doit pas se justifier. C’est une force vive, pleine, dont la sincérité est le seul moteur, alors forcément, cela crée des textes offensifs et brutaux, avec une certaine radicalité. A travers la bande-dessinée, je cherchais à travailler sur un terrain plus ludique, et a fortiori quand on décide de faire un livre qui s’adresse à des enfants, il faut être très clair sur ce qu’on veut dire et faire, car c’est une vraie responsabilité, qui implique plus de nuances. L’idée à travers Mortelle Adèle est plutôt simple : ce monde est plein d’injonctions diverses, qui nous disent comment nous comporter pour être une personne acceptée et acceptable. C’est une grande pression, et beaucoup d’entre nous peinent à trouver leur place et à être heureux en se conformant au moule. Mortelle Adèle nous dit quoi ? Qu’on a le droit d’être différent, bizarre, et que c’est bien aussi. J’essaie simplement de dire aux enfants que ce petit grain de folie qu’ils cherchent à cacher parfois pour se fondre dans le groupe n’est pas une faiblesse, mais ce qui fait leur force et leur identité. Le cynisme d’Adèle est juste une façon pour elle d’accepter qu’elle est en décalage avec ce monde et de prendre un recul nécessaire, salutaire, qui l’aide à trouver sa place.

Adèle est rousse. Pourquoi fait-elle partie de cette minorité visible ?

Quand je repense à la création du personnage, je ne sais pas si à l’époque chaque détail de son apparence était réellement pesé. Je voulais un personnage en marge du groupe, et forcément, différents éléments se sont mis en place naturellement pour tendre vers cela : Adèle est petite alors que la plupart des autres personnages sont grands. Elle déteste son chat alors que tous ses amis rêvent d’avoir le même. Elle porte un uniforme alors que tous les autres enfants ont des tenues à la mode. Elle est la seule petite fille rousse de la cour de récréation, aussi. Elle est à un âge où aucun enfant n’a envie de faire partie d’une minorité. Un âge où la minorité est une zone de danger, de moquerie, d’exclusion. En grandissant, on apprend à se construire en dehors de la minorité, à se déployer au-delà, mais quand on est enfant elle définit une grande partie de notre univers car les autres ne se gênent pas pour nous ramener constamment à elle et qu’il est difficile d’y opposer quelque chose d’autre. Dans le cas d’Adèle, rien n’est un problème : elle est petite, et alors ? Elle s’habille différemment des autres, et alors ? Elle est rousse, et alors ? Elle a tout à fait identifié une information d’une importance capitale : le problème ce n’est pas elle. C’est en cela qu’elle à un rôle à jouer pour nos jeunes lecteurs qui, peut-être, pour des raisons diverses, font cette expérience du rejet de la part des autres.

Que pensez-vous de la discrimination dont les roux sont encore les victimes ?

« On est toujours la sorcière de quelqu’un ». C’est une phrase que j’ai lu ado quand je me passionnais pour les procès de sorcellerie à travers l’histoire. L’idée que la différence, quelle qu’elle soit, effraie, perturbe, dérange et qu’on est pressé de condamner un tiers pour ceci ou pour cela. Les minorités visibles sont les plus anciennes parce que les plus immédiates à définir. Ce sont celles qui ont été les plus persécutées. Les minorités invisibles sont venues se rajouter sur cette triste liste qui ne fait que confirmer la profondeur de la bêtise humaine. La couleur de cheveux, la couleur de peau, l’orientation sexuelle, la religion, le handicap et tous ces sujets desquels naissent les questions de discrimination sont importants. Vous me parlez d’école. C’est un sujet primordial. Aujourd’hui, le suicide reste l’une des premières causes de mortalité chez les jeunes et beaucoup de ces suicides sont provoqués par la discrimination. C’est un âge où le mal-être ne demande qu’à saisir une opportunité, un terreau fertile, pour croître, grandir et obstruer ce qui peut l’être : qui peut survivre à une parole qui lui dit qu’il n’a pas sa place parmi les autres ? Je suis allé dans beaucoup d’écoles, parler, discuter, débattre autour des violences scolaires. Elles ont existé, elles existeront toujours, je suis assez fataliste là dessus. Par contre, je crois profondément en la nécessité de remplir la jeunesse de force, de courage, de fierté, pour la préparer à affronter les défis et la brutalité du monde autour. En créant des modèles forts, par exemple. En donnant à celles et ceux qui se sentent en position de vulnérabilité des raisons de croire en eux, en leur valeur, pour que les violences dont elles sont victimes n’aient plus autant de prise. On parle beaucoup d’homophobie en ce moment et c’est important. Le fait que beaucoup de personnalités du monde du sport ou des médias parlent publiquement de leur homosexualité contribuent à créer des modèles qui aident la jeune génération à mieux se vivre et à se construire avec des identités positives. Le mouvement « It gets better » qui a vu le jour en 2010 par exemple, disait aux ados victimes de discrimination : « Tu verras, ça ira mieux demain ». Et c’est ce rôle là, aussi, que peuvent jouer les personnages que nous créons. C’est notre rôle à nous, d’auteurs, de scénaristes, d’illustrateurs, de continuer à créer des modèles forts pour aider les jeunes lecteurs à se construire et à être capable de se tenir face à leurs bourreaux avec au fond du cœur, la fierté d’être qui ils sont et cette certitude que leur différence, leur particularité, contribue à la richesse de ce monde. C’est aussi grâce à ces modèles qu’on comprend que l’on est pas aussi seul qu’on peut le penser parfois.

Où trouvez-vous toute cette inspiration ?

Ecrire est un moyen d’avoir prise sur le monde. Avec un crayon, vous avez le pouvoir de redéfinir les règles. Je ne cherche pas à être un auteur prolifique, mais j’ai la chance que mes univers entrent en résonance dans la vie des autres. Tant que je continue à écrire, c’est que j’ai envie de me battre contre ce qui me semble absurde dans ce monde. C’est que je suis vivant.

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