Pourquoi dit-on que les roux « puent » ?

« Les roux, c’est comme les Noirs, quand il pleut, ça sent le chien mouillé ». Bon ça, c’est la version trash du préjugé, mouture non édulcorée d’un racisme salement écœurant. Plus soft mais tout aussi ordurier, on pensera au « T’es roux, tu pues » ou « C’est bien connu, les roux ne sentent pas comme les autres » pour finir sur le « Mmmm, ça ne sentirait pas la carotte ? ». Quel roux n’a jamais entendu ça ? L’ignorance est coriace, la bêtise contagieuse.

Je me souviens encore de sa voix, aussi immature et nasillarde que son cerveau de pré-pubère mal léché. À peine 13 ans je dirais. Il me toisait depuis le coin de la rue, entouré de sa bande de copains, attendant le moment idéal pour cracher sa métaphore aux relents botaniques.  J’avais 30 ans et non plus 10. La méchanceté et l’injustice, je les écrase désormais d’un revers de la main. Dommage pour lui. Tant mieux pour moi.

Alors, toi petit ado médisant aujourd’hui devenu grand, cet article, je l’écris en partie pour toi. Car la connerie aussi, ça colle à la peau.

L’odeur des roux, l’odeur de l’altérité

Ce que je trouve dérangeant, c’est que de telles attaques ont fini par en atteindre certain(-e)s. Je ne compte plus le nombre de témoignages trouvés sur des forums, où des roux s’interrogent sur l’odeur prétendue de leur peau. Déodorant à haute dose, talc en overdose ou viande bovine (bigre !) en cataplasme. Certains ne semblent plus savoir quoi faire pour se débarrasser de cette odeur… qui n’existe pas.

Donc, je le dis et je le répète : non, les roux ne sentent pas mauvais. Pas plus qu’un blond, qu’un brun ou qu’un noir. Tant que tout le monde se lave, on peut ranger son pince-nez et tous s’embrasser.

Alors pourquoi ?

Tout simplement parce que la différence dérange. La philosophe Chantal Jacquet l’affirme : « Celui que je ne peux pas sentir et que « j’ai dans le nez » sera perçu comme un être puant, au sens propre comme au sens figuré. » (Le Monde). Dans la même veine, on se rappellera du discours d’Orléans où Jacques Chirac, alors président du RPR évoquait « le bruit et l’odeur » des Noirs, déclenchant les rires d’un public conquis. Les roux ne sont évidemment pas victimes de racisme mais ils constituent, comme toutes les minorités visibles, des gens à part, en marge de la normalité.

L’autre, le différent, le marginal fait peur. Stigmatiser rassure et vient confirmer notre appartenance au groupe majoritaire. Imaginer que l’odeur de l’autre est différente et m’agresse viendra justifier mon besoin de le tenir à l’écart. C’est ainsi que je parviendrai à me protéger. L’odeur, invisible, deviendra alors une puissance inquiétante susceptible d’envahir mon corps, mon être, mon identité. Reste loin de moi, tu ne me contamineras pas.

pourquoi dit-on que les roux puent

Comme le rappelle Maryelle Kolopp dans sa thèse Les roux : mythes et réalités (1983), les scientifiques eux-mêmes craignirent très tôt cette possible contamination : « Nourrice pour nourrice, les familles aisées préfèrent souvent en avoir une à domicile (…). Ni trop grasse, ni trop maigre, et qu’elle soit brune, parce que le lait est meilleur que celui d’une blonde. Le lait des rousses a mauvaise réputation. » (« De l’élection d’une bonne nourrice », Ambroise Paré).

C’est bien l’instinct de conservation qui est ici en jeu : « Si je crois qu’une odeur est étrangère et qu’elle n’entre pas dans mon champ familier, je peux redouter qu’elle puisse me nuire, et je vais par conséquent la juger mauvaise, ou du moins m’en méfier, par crainte d’être empoisonné. » (Chantal Jacquet)

Histoires rousses

Les exemples fleurissent également dans la littérature, venant témoigner des représentations qui se jouent au sein d’une société donnée.

les femmes rousses sentent mauvais

Dans Mort à crédit (1936), Louis-Ferdinand Céline écrit ainsi : « La mère Vituve émanait une odeur poivrée. C’est souvent le cas des rouquines. Elles ont, je crois les rousses, le destin des animaux, c’est brut, c’est tragique, c’est dans le poil ».

Tout est dit, les rousses sentent. Oui mais pas de n’importe où. Elles sentent d’en bas. Messieurs, préparez vos masques.

L’ennui, c’est que cette idée, aussi saugrenue qu’insensée, dure, perdure et s’allonge pour venir s’asseoir copieusement dans bon nombre d’esprits ignorants. Alors, je repose la question : pourquoi ?

Cette rumeur n’est tout simplement que le fruit d’une superposition de préjugés : la rousse animale, la rousse femme fatale, la rousse sorcière dont l’épicentre ne pourrait être qu’à l’image du reste: dangereux, différent, odorant.

« Un préjugé est une rumeur malsaine que l’on alimente » (Valérie André)

Certains me diront : « Oui, mais ça, c’était avant ».

Patrick Sûskind n’a-t-il pas en 1986, pris le contre-pied de ce préjugé avec son roman Le Parfum (quoique …) ? De la même manière,  Jean-Claude Grumberg n’a-t-il pas critiqué notre rapport à l’altérité dans Les Rouquins (1991), égratignant au passage l’idée que les roux sentaient mauvais ?

Certes.

Mais quand en 2015, dans Madame Figaro, je lis ça :

article de madame figaro sur l

… je me dis que la partie est loin d’être gagnée. Oui, de nombreuses études ont permis de mettre en lumière l’incidence des phaeomélanines sur la couleur rousse de nos cheveux. Oui, ce pigment fait intervenir de la cystéine, un acide aminé riche en soufre.

« Différente », ça veut dire quoi au fond ? Rien… et tout à la fois. Surtout lorsque l’on sait que dans l’imaginaire collectif, avoir une odeur différente signifie le plus souvent sentir mauvais. Comment peut-on donc tenir un tel discours, sans même prendre soin d’utiliser le conditionnel ? Y a-t-il une étude scientifique qui viendrait cautionner cette réflexion ?

Moi, j’ai cherché partout et longtemps et je n’ai rien trouvé. Rien, sauf cette analyse du généticien et anthropologue Paul Verdu, qui affirme tout simplement… le contraire :

Valérie André l’affirme : « Un préjugé est une rumeur malsaine que l’on alimente« . Le temps faisant son oeuvre, les idées reçues se superposent en effet les unes aux autres, se renforçant à chaque fois un peu plus. La littérature, les pseudo-sciences, la superstition et aujourd’hui, la presse féminine perpétuent ces rumeurs, lesquelles finissent par s’ancrer dans notre inconscient collectif.

Pour s’en rendre compte, il suffit de poser son regard ailleurs, loin de nos représentations, de nos repères. Saviez-vous, comme le rappelle Marie-Savine Colin, que les Américains pensent que les Français ne se lavent pas ? Outre-Atlantique, nous sommes réputés ne prendre qu’une douche par semaine et nous brosser les dents uniquement le dimanche. En cause notamment, le souvenir de l’insalubrité et du manque d’hygiène qui régnaient à Versailles sous le règne de Louis XIV. Trois siècles ont passé et la rumeur perdure… Préjugé d’ici, préjugé d’ailleurs, préjugé qui court… À quand la fin ?

Alors la prochaine fois que vous entendrez dire que les roux puent, réagissez. Et riez. C’est bien la meilleure arme face à l’ignorance et l’intolérance.

1 réflexion au sujet de « Pourquoi dit-on que les roux « puent » ? »

  1. Pourtant pardon mais c’est le cas . Certains aiment un type d’odeur d’autres non . C’est valable pour tout le monde. Par expérience ma sœur rousse on faisait tremper son linge sinon odeurs fortes malgré la machine . Elle l’assume. Un ami même odeur forte roux . Il y a peut-être une explication chimique . En tout cas pas d’hypocrisie l odeur ça plait ou non mais ça compte énormément pour moi. Parler de discrimination ou autre je ne comprends pas . Nous ne sommes pas tous compatibles.

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