Clip « L’apparence »… et les roux vus par Monsieur PO

Provocation facile ou réflexion éclairée ? Dans son clip « L’apparence », Monsieur PO met en scène les pensées suicidaires d’un jeune garçon roux, victime de harcèlement sur les réseaux sociaux.  À ce titre, les premières minutes de cette vidéo pourraient faire bondir plus d’une personne rousse, tant les préjugés à notre encontre sont énoncés avec une froideur glaçante et des rires à peine dissimulés. Pourtant, il n’en est rien… et il s’en explique.

Qui est Monsieur Po ?

Une précision tout d’abord, Monsieur PO n’est pas roux ! Avant de créer ce personnage purement fictif, j’ai fait une dizaine de concerts, il y a quelques années, « en tant que moi-même ». avec pour nom de scène P-O, initiales de mon prénom. J’étais seul avec ma guitare et mes textes. Ce fut une super expérience personnelle mais c’était difficile à gérer pour quelqu’un de réservé. J’aurais dû prendre un autre nom, genre « René et ses Chansons », ça aurait été moins flippant je pense !

Le personnage de Monsieur PO, lui, est né en même temps que le clip « L’apparence ». J’aimais bien la sonorité prétentieuse de ce nom qui colle en partie au thème de la chanson. C’est une sorte d’alter ego qui s’est mis sur le devant de la scène web à ma place, c’était rassurant. Il y a un petit côté schizo !

Quel est l’objectif de ton clip L’apparence ?

J’ai une fille de 4 ans (et une batte de baseball pour ceux qui… voilà mon côté « Thug » qui ressort… ) et je trouve que les enfants sont cruels entre eux. À ce sujet je t’invite à aller regarder le casting de Je Suis Louie dont je me suis servi pour l’intro du clip. Maintenant ils ont des smartphones entre les mains, ils ont accès à tout très tôt. Interdire cela à ma fille alors que tous les autres enfants en ont un, ce serait délicat. Elle est encore petite, je n’y suis pas encore mais ça va venir vite et je suppose que c’est avant tout une question d’éducation, d’anticipation et d’ouverture d’esprit avec son enfant. Facile à dire…

Le regard de l’autre me semble de plus en plus perfide et exacerbé. La télévision et Internet ont poussé le vice super loin ces 20 dernières années. La société idéale, selon moi ? Je ne l’imagine pas, elle est ce qu’elle est devenue, et c’est à nous, parents, de donner les armes à nos enfants pour se (faire) respecter et s’en sortir. C’est la jungle.

Un exemple, parmi tant d’autres, en 2013, un adolescent s’est donné la mort suite aux harcèlements qu’il subissait à l’école. Il était roux. C’était la cause des moqueries dont il était victime. Quand j’ai appris cet événement, j’ai ressenti un malaise, déjà parce que c’est insupportable et parce que moi aussi, il m’est arrivé d’en faire, innocemment, des blagues sur les roux, j’en ai (sou)ri entre potes ou en voyant une blague passer sur les réseaux sociaux… malaise… Alors j’ai écrit cette chanson. Quatre ans après est venue l’idée du clip et l’objectif restait le même depuis le début : essayer de transmettre ce malaise à celui qui écouterait les paroles et l’amener à la réflexion.

Pourquoi avoir choisi de parler des roux ?

Cet événement tragique qui est à l’origine du texte soulève d’après moi plusieurs sujets. L’exercice était alors de réussir à entremêler tous ces questionnements sur :

  • l’importance donnée à l’apparence, de l’antiquité à la télé-réalité
  • les comportements sociaux entre minorité singulière « différente », et majorité uniforme « normale »
  • le harcèlement moral ou physique à l’école ou sur les réseaux sociaux
  • cette époque du selfie, comme si tout le monde avait un miroir dans sa poche et lui demandait chaque jour de manière compulsive « Miroir, miroir, dis-moi qui est le plus beau ? », ou « Qui a l’assiette la plus appétissante ?», ou « Qui passe les meilleures vacances ?»
  • la course aux « likes » et au quart d’heure de gloire. Jusqu’où sommes-nous prêts à aller : se moquer des uns pour avoir la reconnaissance des autres ?

Je parle de moi aussi. Je l’avoue avec exagération : le regard des autres m’importe, sur ce que je fais, pas sur ce que je suis.

Et enfin, je parle des roux et plus particulièrement de ce garçon qui s’est donné la mort, je m’en sers pour illustrer ce que je viens d’énoncer. J’aurais pu aussi bien parler des différences de poids et de couleurs de peau… J’en profite pour te remercier de m’avoir invité à expliquer tout ça. Tu es naturellement rousse et tu as compris où je voulais en venir. Je craignais que le texte soit mal interprété, et que je passe pour une personne qui n’aimait pas les roux.

Concernant le jugement à l’égard des roux, j’ai l’impression que ces moqueries proviennent d’un triste héritage qui perdure mais qui s’estompe et qui tend à disparaître, du moins je l’espère. J’ai été surpris d’apprendre de la part de Pascal Sacleux, photographe avec qui tu as travaillé sur le livre Être(s) roux, qu’il entend encore aujourd’hui beaucoup d’histoires « hallucinantes », pour reprendre ses termes, de moqueries et autres, de la part des quelques 800 roux et rousses qu’il a photographiés pour le livre.

Peux-tu me dire quelques mots sur la conception de ce clip ?

Avec plaisir, j’y ai passé tellement de temps ! Ça a commencé avec un storyboard. Puis j’ai dessiné les différentes scènes quand ma femme et ma fille dormaient. Les dessins ont été scannés, puis coloriés informatiquement, et enregistrés. Au final, j’ai accumulé plusieurs centaines, milliers d’images. Et à la manière d’un film d’animation en pâte à modeler, j’ai mis tous ces fichiers bout à bout à partir de mon logiciel de conception musicale… « WTF !?» m’ont répondu certains !

Si j’ai choisi ce procédé fastidieux, c’est simplement parce que je n’avais ni caméra ni logiciel d’animation, j’étais donc hyper contraint. Déformation professionnelle oblige, c’est dans la contrainte que je trouve mes idées. Pour les couleurs, pas le choix de rester simple, je ne pouvais pas, et ne voulais pas, colorier le ciel en bleu et les arbres en vert, alors j’ai choisi le rouge et le noir pour le côté brutal et « malaisant ». Ce n’est qu’à la fin du clip qu’il y a une explosion de couleurs, quand le personnage choisi d’ignorer la bêtise humaine.

Quels sont tes projets pour la suite ?

Continuer de créer dans ma grotte ou ailleurs, d’une manière ou d’une autre. Peut-être pas un clip de ce genre sinon ma femme me quitterait ! Et pourquoi pas reprendre ma gratte dans les bars, me faire appeler « René », porter une perruque, une moustache, rester incognito.

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