En 2010, la chanteuse M.I.A., révélée par Paper Planes sur la B.O. de Slumdog Millionaire, suscitait la polémique avec son clip Born free. Réalisé par Romain Gavras, celui-ci mettait en scène le massacre de jeunes garçons dont l’unique délit était d’être roux. Une vidéo choc, sanglante et glaçante par la violence et la froideur qui s’en dégagent… Born free : plaidoyer anti-roux ou message subliminal ?
Le réalisateur avait déjà fait parler de lui avec Stress qu’il avait mis en scène pour le groupe électro Justice. On y voyait huit hommes cagoulés agresser de sang-froid des passants choisis au hasard dans Paris. Fascination pour la violence ou simple provocation, le fils de Costa Gavras réitère trois ans plus tard avec « Born Free » dont il plante cette fois-ci le décor dans le désert californien.
La vidéo débute sur fond de guerre civile, par l’intrusion ultra-violente de soldats américains dans un immeuble. Casqués et armés jusqu’au cou, les hommes défoncent les portes les unes après les autres, tabassant leurs habitants au passage, à la recherche d’une cible bien définie : un jeune homme … roux. Un simple hasard, se dit-on au premier visionnage. Mais emmené de force à l’extérieur, celui-ci est ensuite embarqué dans un camion de l’armée. On y découvre alors une quinzaine de prisonniers. Tous roux, comme lui. L’image dépasse à ce moment-là tout entendement. Le spectateur comprend l’impensable : tous ces hommes sont raflés uniquement à cause de leur couleur de cheveux. Le convoi démarre en trombe, sous les jets révoltés de quelques contestataires inconscients.
Je vous laisse découvrir la suite ici… Âmes sensibles, s’abstenir : cette vidéo comporte des scènes violentes.
Au-delà des scènes de violence, ce qui m’a personnellement dérangée dans ce clip, c’est le nihilisme qui s’en dégage : pitié inexistante du côté des soldats, nulle issue de secours du côté des fuyards, qui tentent, dans un dernier élan de survie, de se soustraire à cette rafle massive et organisée. Armes à feu, coups de matraques ou mines traîtresses viendront de toute façon anéantir de manière aveugle toutes ces innocentes vies.
Et pour plus d’effet, la musique est reléguée, dans une justesse saisissante, au simple rang de B.O. Mise en sourdine à plusieurs reprises au profit de cris et des armes, elle renforce, par son absence, la violence des images.
Alors quel fut le but du couple M.I.A./ Romain Gavras ?
Dès sa diffusion, nombreux ont crié au scandale, dénonçant une apologie de la « discrimination » envers les roux. Ces multiples controverses auront valu au court-métrage un bannissement quasi-instantané de la part de Youtube aux Etats-unis et en Angleterre. Mais ceux-là n’auront pas cerné l’objectif sous-jacent d’une telle explosion de violence.
En faisant couler autant d’encre et de sang, Romain Gavras souhaitait au fond dénoncer la violence gratuite et inhumaine dont furent victimes de nombreuses minorités. « En élisant comme objet d’une purge criminelle une communauté jusqu’ici jamais inquiétée, le clip dit avec une certaine éloquence l’arbitraire et l’absurde de tout système ségrégationniste. Et les plans sur ces jeunes rouquins conduits à l’abattoir dégagent une vraie puissance d’inquiétude et de trouble. » (Les Inrocks – 2010).
L’histoire de nos sociétés est en effet jalonnée de génocides qui mettent en lumière les ténèbres de l’esprit humain. À chaque fois, des victimes innocentes, des hommes, des femmes, des enfants pris pour cibles par des leaders aux convictions effrayantes.
Derrière l’horreur de cette vidéo, se cachent celles des Rwandais, des Aborigènes, des Juifs et de tous ces autres qui furent massacrés sous le joug de quelques esprits sanguinaires et omnipotents.
Par sa mise en scène brutale et saisissante, par la mobilisation immédiate de notre empathie, Born free rappelle à chacun sa vulnérabilité face à l’absurdité du fascisme et à quel point les concepts de minorité et de normalité sont bien relatifs…
Pour ceux qui doutent encore de cette interprétation, n’oublions pas que Romain Gavras est aussi le réalisateur de Notre jour viendra , road movie de deux frères (interprétés par Vincent Cassel et Olivier Barthélémy) quittant la France pour l’Irlande à cause des railleries qu’ils subissent… parce qu’ils sont roux.
Gavras, un ardent défenseur de notre couleur de cheveux ? Je ne le crois pas. Mais un homme qui sait faire du buzz tout en défendant ses idées, ça, j’en suis sûre…